OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Google : chêne ou roseau? http://owni.fr/2012/12/13/google-chene-ou-roseau/ http://owni.fr/2012/12/13/google-chene-ou-roseau/#comments Thu, 13 Dec 2012 14:15:50 +0000 Andréa Fradin http://owni.fr/?p=127342

“La presse peut faire plier Google. Les journaux belges viennent d’en apporter la preuve.” Ces deux petites phrases, extraites d’un article du Monde publié hier, ont suffi à mettre en branle le panzer de Mountain View. Billet de blog publié tard dans la soirée, conference call improvisée dans la matinée, équipe de com’ sur les dents : Google a déployé un véritable plan Vigipirate pour contrer les informations du journal du soir. Objectif : décorreller à tout prix l’accord trouvé du côté du plat pays avec les négociations toujours en cours par chez nous.

Google se paie la presse

Google se paie la presse

C'est la guerre ! Face au projet de loi de certains éditeurs de presse qui souhaitent faire payer Google dès qu'il ...

Google chez les Belges

Intitulé “Droit d’auteur : Google indemnise la presse belge”, l’article à l’origine du branle-bas de combat révèle le contenu d’un “accord secret [...] conclu, vendredi 7 décembre, entre les éditeurs francophones de quotidiens (les groupes Rossel, La Libre Belgique, L’Avenir), la Société de droits d’auteurs des journalistes (SAJ) et Google.” Ces derniers sont empêtrés depuis six ans dans une procédure judiciaire : Copiepresse, un représentant des éditeurs de presse belges, a attaqué en 2006 le géant américain pour violation du droit d’auteur sur son service Google News. Condamné en appel en 2011, Google avait fini par privilégier la voie de la négociation.

Et à en croire Le Monde, c’est lui qui sort grand perdant du deal enfin trouvé :

Le géant américain va verser une indemnisation conséquente, qui représente selon une source “entre 2 % et 3 % du chiffre d’affaires” de la presse belge francophone, soit près de 5 millions d’euros. Les journalistes devraient toucher une part de ce pactole par la SAJ.

Un “précédent qui pourrait faire boule de neige dans d’autres pays européens, à l’heure où les éditeurs français, allemands et italiens souhaitent faire payer au moteur de recherche un “droit voisin” au droit d’auteur”, poursuit le journaliste, en référence aux négociations houleuses en cours dans les pays voisins. Pourtant, ce même article conclut sur le fait que cet accord ne “semble” pas régler “la question des droits pour les années qui viennent”.

Lex Google pour les nuls

Lex Google pour les nuls

Si les éditeurs de presse français n'ont pas encore déclaré officiellement la guerre à Google, le manège y ressemble. ...

Or les revendications actuelles de certains titres, comme l’association des éditeurs de presse d’information politique et générale (IPG) en France, portent précisément sur la mise en place à l’avenir d’une contribution sonnante et trébuchante de la part de Google, au motif que le géant du web gonfle ses revenus publicitaires sur le dos de la presse. Et non, comme c’est le cas en Belgique, sur un conflit ouvert sur l’atteinte aux droits d’auteur de la presse dont Google pourrait être à l’origine. Alors même que selon des juristes, les titres français pourraient tout à fait se lancer dans ce genre de combat. Mais la bataille, en France, est différente.

Il n’en fallait pas plus pour Google pour contre-attaquer. “L’accord ne prévoit pas le paiement de redevances aux éditeurs et aux auteurs belges pour l’inclusion de leurs contenus dans nos services” martèle depuis hier son service de communication, appuyé dans sa tache par des représentants des éditeurs de presse outre-Quiévrains. De quoi calmer les ardeurs éventuelles des confrères français.

“La question d’un droit voisin n’a pas été abordée”, expliquait ce matin Francois le Hodey, président des Journaux francophones belges, qui dément avec Google les informations du Monde :

Nous n’avons jamais parlé [d'une rémunération en] pourcentage par rapport à un chiffre d’affaire.

Et de préciser :

L’accord couvre principalement les frais engagés par les éditeurs [...] mais aussi des partenariats commerciaux qui profitent à tout le monde.

Concrètement, cette alliance prend plusieurs formes : Google s’engage à acheter des espaces publicitaires aux titres de presse pour promouvoir ses produits, à les aider à optimiser leurs revenus publicitaires via Adsense et Adexchange ou à être plus facilement accessibles sur mobile.

Le tour de Gaule de Google

“Ca fait longtemps que Google est dans le coaching, le mentoring et l’accompagnement des médias”, commente Google, qui s’est dit prêt à déployer un accompagnement similaire aux autres titres de presse belges qui le souhaitent. En clair, Google est d’accord pour les coups de pouce, mais refuse toujours de donner une grosse enveloppe à la presse. “On ne paye pas pour un contenu qu’on n’héberge pas, c’est ce qu’à dit Eric Schmidt”. Une information que semble avoir bien intégrée les éditeurs de presse belges après six ans de combat. Ce matin, François le Hodey concédait ainsi au détour d’une phrase :

Il est inutile d’espérer un accord avec Google sur un concept de rémunération des contenus.

Une ligne que ne partagent pas les éditeurs de presse bien de chez nous, invités à la table des négociations. Selon nos informations, l’IPG serait encore bien décidée à aller gratter directement le trésor de Google plutôt que de les écouter prodiguer des conseils. “Amputer (un peu) ses bénéfices”, comme l’écrivait Laurent Joffrin, l’un des porteurs du texte de l’IPG. De vieux réflexes bien chevillés au corps de certains éditeurs de presse, habitués à être alimentés par un système de subventions.

Foutage de Google

Foutage de Google

Pas de surprise dans la lettre de mission du médiateur dans l’affaire Lex Google, envoyée aujourd'hui : elle confirme que ...

Contactés, Nathalie Collin, président de l’association en question, comme Denis Bouchez, son directeur, ne souhaitent faire aucun commentaire au cours de la médiation voulue par le gouvernement et entamée fin novembre. Les trois parties ont commencé à discuter, la dernière réunion datant du 11 décembre dernier.

Reste à savoir qui lâchera en premier. De son côté, l’IPG peut compter sur le soutien du gouvernement, qui menaçait il y a quelques semaines : soit la médiation aboutit, soit c’est une loi contraignant le géant du web à payer. Quant à Google France, la boîte ne lâche rien et prévient : “nous avons bien plus à gagner en travaillant ensemble qu’en se disputant.” Un message explicite, adressé aux “éditeurs du monde entier”.

Suivez mon regard.


]]>
http://owni.fr/2012/12/13/google-chene-ou-roseau/feed/ 168
Foutage de Google http://owni.fr/2012/11/28/foutage-de-google-lexgoogle-schwartz-spiil-ipg/ http://owni.fr/2012/11/28/foutage-de-google-lexgoogle-schwartz-spiil-ipg/#comments Wed, 28 Nov 2012 17:08:02 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=126729

La lettre de mission [pdf] de Marc Schwartz, le médiateur dans l’affaire Lex Google, confirme que le bras de fer se joue exclusivement entre Google et l’association des éditeurs de presse d‘information politique et générale (IPG). Pour mémoire, l’IPG entend faire payer Google, accusé de faire son beurre sur le dos des éditeurs de presse en vendant de la publicité sur ses services qui agrègent des liens menant vers des articles, alors que le géant américain refuse de payer pour un contenu qu’il n’héberge pas.

Le document envoyé conjointement cet après-midi par Bercy et par la société Mazars, où travaille Marc Schwartz, ne fait référence qu’à ces deux acteurs :

Nous souhaitons vous confier la mission de faciliter le dialogue et la négociation entre Google et les éditeurs de presse  réunis par l’association IPG, et la conclusion d‘un accord entre ces deux parties, qui repose sur un système équitable de partage de la valeur.

Colère

Au risque de fâcher encore plus les confrères opposés à cette idée de taxer Google. Maurice Botbol, le président du Spiil (Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne, qui comprend Mediapart, Rue89 ou Slate) avait ainsi exprimé ses doutes sur la démarche de l’IPG, ajoutant “j’espère que l’ensemble des parties prenantes seront associées aux discussions. Il serait paradoxal que seule l’IPG y participe, car il est ici question de presse en ligne.”

Johan Hufnagel, le rédacteur en chef de Slate.fr, a résumé avec son franc-parler habituel le point de vue du Spiil en alpaguant les ministres de l’Économie numérique et de la Culture sur Twitter :

Lex Google pour les nuls

Lex Google pour les nuls

Si les éditeurs de presse français n'ont pas encore déclaré officiellement la guerre à Google, le manège y ressemble. ...

Toutefois, dans son communiqué accompagnant la lettre de mission, Marc Schwartz évoque “les éditeurs de presse” en général, sans faire référence à l’IPG. Une façon de montrer qu’il a prévu d’autres chaises autour de la table des négociations ? Outre d’autres éditeurs de presse, il serait logique que Microsoft, Yahoo!, Facebook ou Twitter, qui proposent des services similaires à Google, donnent leur point de vue.

Quoi qu’il en soit, il dispose toujours d’un délai très court pour trouver un accord, prié de “transmettre les conclusions de [sa] médiation avant la fin du mois de décembre 2012″, conformément au vœu de François Hollande. Faute de quoi, les parlementaires prendront le relais, et à charge pour eux d’élaborer une loi qui instaure un droit voisin pour la presse en ligne, dictée par l’IPG, et qui est loin de faire l’unanimité, y compris au sein du gouvernement. Et un casse-tête juridique qui pourrait faire le jeu de Google, armé de ses juristes aguerris.


Illustration by Owni /-)

]]>
http://owni.fr/2012/11/28/foutage-de-google-lexgoogle-schwartz-spiil-ipg/feed/ 61
Achtung ! Google n’est pas content http://owni.fr/2012/11/27/achtung-google-n%e2%80%99est-pas-content/ http://owni.fr/2012/11/27/achtung-google-n%e2%80%99est-pas-content/#comments Tue, 27 Nov 2012 11:49:33 +0000 Andréa Fradin http://owni.fr/?p=126674 Pas facile de se frotter au colosse californien et à sa force de frappe sur Internet. Le Parlement allemand en fait l’expérience pour avoir mis à l’ordre du jour une loi désormais bien connue outre-Rhin sous le sobriquet de “Lex Google”.

Pour contrer le texte, qui vise à faire payer Google pour le référencement d’articles de presse, ce dernier vient de lancer une grande campagne de com’, intitulée “Défends ton Internet”. Un slogan simple, alarmiste et efficace pour défendre les intérêts du géant.

Google se paie la presse

Google se paie la presse

C'est la guerre ! Face au projet de loi de certains éditeurs de presse qui souhaitent faire payer Google dès qu'il ...

Google compte bien en effet s’approprier une partie des critiques opposées à ce projet de loi, jugé contraire au principe même de la navigation sur le web. Et le met en œuvre avec le talent qu’on lui connaît : une vidéo typiquement googlienne où des recherches se succèdent dans le moteur, pointant le plus souvent vers des résultats de grands titres allemands : Der Spiegel ou le Frankfurter Allgemeine Zeitung ; mais aussi une Google map, sur laquelle les internautes allemands peuvent trouver les coordonnées de leur élu pour se plaindre de ce projet de loi, évidemment.

Google propose aussi un formulaire, afin que ces mêmes internautes expriment au géant du web leurs opinions sur la loi, ainsi que leurs critiques. Bref, du lobbying massif qui constitue peut-être un avant-goût de ce qui nous attend en France.

Depuis quelques semaines, certains éditeurs de presse bien de chez nous sont décidés à suivre l’exemple allemand. Une volonté traduite aussi en projet de loi, pour le moment resté lettre morte : le gouvernement a préféré nommer un médiateur dans un premier temps, pour trouver un accord sonnant et trébuchant entre les journaux et Google. Voilà donc un aperçu de ce qui les attend en cas d’échec de la négociation…

Cliquer ici pour voir la vidéo.

]]>
http://owni.fr/2012/11/27/achtung-google-n%e2%80%99est-pas-content/feed/ 4
“Si on décide de ne pas bouger, là on est mort” http://owni.fr/2012/11/20/si-on-decide-de-ne-pas-bouger-la-on-est-mort-francaix-interview/ http://owni.fr/2012/11/20/si-on-decide-de-ne-pas-bouger-la-on-est-mort-francaix-interview/#comments Tue, 20 Nov 2012 14:10:47 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=126165

Michel Françaix en 2009 par Richard Ying (ccbyncsa) édité par Owni

Un mois après la publication par Owni du rapport de Michel Françaix, sur les aides à la presse pour la Commission des affaires culturelles et le projet de loi de finances 2013, le rapporteur a accepté de répondre à quelques questions. Sur le rapport mais aussi sur le point de vue qu’il a de l’état de la presse en France. Entretien sur fond d’assertion : si la presse n’évolue pas, elle meurt.

Ce rapport-là, le 3ème, est le plus médiatisé. En quoi est-il différent des autres et quel est votre constat ?
Michel Françaix

Celui qui se décrit comme fils de saltimbanque et neveu de saltimbanque a fait grincer des dents à plus d’un patron de presse. Brièvement, il est revenu pour Owni sur pourquoi il est à l’origine d’un tel rapport : son intérêt pour l’écrit remonte à ”toujours” et c’est aux côtés de François Mitterrand en 1981 qu’il devient chargé de mission sur l’écrit, les radios et la presse locale.

Depuis cette période, il reste sur ce sujet de prédilection. ”Quand vous êtes dans l’opposition, vous vous y intéressez pour faire des envolées lyriques à deux heures du matin mais vous savez que ça ne sert à rien. Et là dans la mesure où nous sommes dans la majorité et qu’il y a peu de parlementaires qui s’intéressent à l’écrit en général — ils sont plus télévision/audiovisuel — je n’ai pas eu à batailler pour récupérer ce rapport, qui est déjà le troisième.”

[Twitter]

Il est différent des autres parce que c’est la première fois depuis 1981 qu’un ministre de la Culture me parle pendant 20 minutes de l’écrit avant de parler ensuite de l’audiovisuel. Avant celui-là, on se rendait compte à deux minutes de la fin des auditions qu’il fallait dire un mot sur RFI et sur l’écrit. Peut-être que cette année, la Ministre a été provoquée par ce qu’il se passait avec Presstalis.

Maintenant à mon âge je sais comment les choses se passent : le soufflé peut totalement retomber. Mon objectif c’est de dire début février, “chère Aurélie, est-ce que tu penses que tu as fait le tour du dossier ou est-ce qu’il faut faire évoluer ou faire de profondes modifications ?”. Si on ne peut pas faire tout ce que j’ai écrit, ce que j’entends très bien, est-on prêts à avancer ? Ou avec un tour de passe-passe, quinze jours avant dire qu’on va tout ré-équilibrer ? Si on a la détermination pour avancer, je veux bien réfléchir avec d’autres pour faire évoluer. Mais je veux pas m’enquiquiner à faire le budget pour que finalement rien n’avance. On est pas au bout de nos peines et nos difficultés. Avec notamment la prise en compte de la presse en ligne et le fait qu’elle doit avoir plus d’importance.

La presse écrite, de toute façon, ne pourra plus vivre sur le même tirage dans les années à venir, mais elle peut être l’élément moteur permettant aussi le développement de la presse en ligne. Il faut donc réfléchir : on ne pourra pas donner des millions à Presstalis, donner un taux de TVA à la presse en ligne à 2,10%, donner à tous ceux qui le demandent des aides au portage qu’ils n’ont pas encore, le tout sans faire de coupes sombres quelque part. Ou alors on fait semblant de donner un tout petit peu à tout le monde donc à personne. Je suis plutôt sur l’idée de fixer des priorités.

Donc vous n’êtes pas juste l’auteur du rapport poil-à-gratter et pensez permettre de faire bouger les lignes ?

En ce moment la presse y croit encore et elle a peur qu’il puisse se passer quelque chose : je vais prendre 30 kg ! Je suis invité à déjeuner par tous les syndicats pour expliquer que leur cas est un cas génial… donc oui, le rapport fait un peu peur. La ministre elle-même et le budget ne sont pas totalement insensibles parce qu’il faut dépenser de l’argent mais à coût constant. Objectivement ce rapport au niveau du gouvernement a été plutôt bien pris.

Il faudrait que les choses puissent changer rapidement ? Sinon la presse pourrait “mourir” ?

J’espère qu’on ne refera pas le prochain budget des aides à la presse en septembre de la même façon. Ma position est de dire que rien n’a bougé avec les États généraux de la presse. Maintenant si on doit faire trois ans en disant “on a tout fait”, je serai obligé de constater qu’on reproduit les mêmes politiques depuis 15 ans et qu’on va droit dans le mur. On va essayer de faire en sorte de ne pas être obligés d’en arriver là. Ça dépendra d’un certain nombre de choses, des priorités, de la crise mais mon rôle va être de ne pas faire redescendre le soufflé. Et puis à travers ce rapport, je ne veux pas être la mouche du coche qui ne sert à rien !

Si on décide de ne pas bouger, là, on est mort. L’immobilisme en période de crise et de mutation c’est dire “on ne voit rien des mutations à faire” y compris pour la presse en ligne. Sauf qu’on n’aura pas toujours la prouesse de trouver l’argent. Est-ce que la presse va mourir ? Je ne crois pas, mais elle est condamnée à évoluer sinon sans ça vous pourriez avoir raison : elle va mourir. Mais la grande force, c’est qu’il n’y a pas un seul gouvernement qui accepterait de pouvoir dire qu’il a contribué à tuer toute forme de presse. Sauf si la presse sur papier n’intéresse plus personne dans 20 ans. Et qu’on considère que Facebook et Twitter sont suffisants pour avoir de l’information…

Nous sommes devant des choses évolutives et au dernier moment “On” attend que l’État intervienne. Et il finit par dépenser des sommes folles qu’il n’aurait pas dépensées s’il y avait eu une anticipation.

De mettre sur la table la mutation numérique, c’est anticiper ce qu’il va se passer ?

Oui et même plus loin, ce n’est plus anticiper après-demain c’est anticiper demain ! Ce n’est d’ailleurs pas une très grande anticipation, nous allons avoir le nez dans le guidon très rapidement. En fait, nous ne pourrons pas passer notre vie à faire des rafistolages plus ou moins intelligents. Je crois savoir que j’ai une bonne collègue qui devant la crise de Sud Ouest va sûrement poser une question à la ministre comme “qu’est ce que vous faites pour Sud Ouest ?” Qu’est ce que vous voulez qu’elle réponde ? Ma première réaction c’est de penser tout de suite : c’est l’État qui fait un chèque ? Et où passe la liberté de la presse ? Il y a forcément des députés qui se font engueuler par des journalistes de Sud Ouest. Vous avez affaire à un parlementaire comme il défendrait sa sidérurgie à tel endroit.

Mais de quel droit on donnerait de l’argent à Sud Ouest et pas au groupe Hersant ? Sur quels critères ? Le seul critère qui puisse exister, c’est de faire une aide à la réorganisation des entreprises et recourir à des formes de concentration à condition qu’en contrepartie on conserve le pluralisme. La pire des choses, c’est d’aider Sud Ouest à ne pas mourir et que finalement, il soit un journal qui n’apporte rien comme espace de liberté. Ce n’est pas le cas mais il faut se fixer des objectifs.

Mais la publicité, ce n’est pas se priver d’un espace de liberté ? Pourquoi opposer toujours la presse papier avec support en ligne et les pure players ?

La réalité de la publicité, c’est qu’ils prennent ça dans la figure en même temps que le reste : la presse perd 5 ou 6% de lectorat tous les ans et perd en ce moment 12 à 13 % de recettes publicitaires en même temps. C’est aussi une difficulté qui prouve que le modèle de la presse en ligne n’est pas le bon puisqu’on ne récupère pas ces recettes sur ce type de presse. Les pure players sont dans un autre état d’esprit, plus avant-gardiste. Ils sont plus modernes et plus dynamiques, plus innovants.

Ce n’est pas une question de génération, mais on voit bien quand même que la presse papier qui s’intéresse à la presse en ligne, c’est parce que c’est l’idée : “on ne peut pas faire autrement et il faut qu’on s’y intéresse”. Quand ceux qui abandonnent le papier en disant “voilà un nouveau projet”, c’est leur bébé. Pour le papier c’est un bébé de récupération qui dirait “il faut trouver un moyen”. On voit bien qu’ils préfèrent leur presse papier.

Il y a des réussites sur le numérique : Libération, Le Figaro ont quasiment plus de gens qui regardent le numérique. Ils se sont fait une place, leur marque existe sauf qu’ils n’arrivent pas à ce qu’elle soit payée.

Et la PQR ?

Je pense qu’on terminera avec 5 ou 6 journaux, 7 ou 8, de presse régionale. Nous ne pouvons plus empêcher les concentrations de presse – même si on peut les regretter. Ces concentrations de presse ne peuvent intéresser les pouvoirs publics que pour différentes raisons : un journal ce sont des journalistes, une charte de déontologie. S’il ne reste qu’une demi-page de création, ce n’est plus du domaine des pouvoirs publics. Il faut aussi conserver les espaces de liberté. J’accepte la concentration si elle n’entre pas en contradiction avec le pluralisme.

Si la paie se fait à un seul endroit des 15 journaux accrochés, je peux l’entendre. Mais si on me dit que l’éditorial sera le même dans Sud Ouest que dans La Charente libre et qu’à Pau, il n’y aura plus de spécificités régionales. Est-ce au contribuable de payer ces évolutions-là ?

Contrairement à d’autres amis de ma sensibilité, je crois que c’est de l’arrière-garde de dire qu’il n’y aura pas de concentration et qu’il faut les refuser. Parce qu’à chaque refus, le journal finit par mourir. Simplement, il faut des contreparties garantissant le pluralisme. Aujourd’hui c’est le cas dans l’est autour du Crédit mutuel et dans le groupe Hersant tel qu’il est en train de se reconstituer en Normandie. Il faut juste donner de l’argent au bon endroit. La presse quotidienne nationale a reçu beaucoup pour le portage et nous ne savons pas à quoi ils l’ont utilisé ! J’ai quelques idées dans le domaine : on ne peut plus continuer à faire de l’enrichissement sans cause sur du portage qui n’est pas suivi des faits.

Le constat est assez pessimiste. D’où viennent les principaux problèmes ?
La presse prend cher

La presse prend cher

Quelques jours avant le site de l'Assemblée, nous publions le rapport parlementaire sur l'économie de la presse, préparé ...

La presse fançaise est plus aidée que la plupart des presses étrangères et avec un milliard d’euros on arrive à des résultats catastrophiques. On peut se dire que notre ciblage doit pouvoir être amélioré. Puisque c’est sur le milliard d’euros, la presse récréative et des tas de forme de presse en bénéficient pour les deux tiers. Est-ce normal que la presse des programmes télévisés touche autant ? Mon idée, c’est aider bien davantage la presse dite citoyenne à condition de cibler et voir ce qu’ils en font. En retirer aux uns pour donner à d’autres dans des contrats très clairs. En gros, se demander s’il est judicieux de conserver une imprimerie intégrée qui coûte X millions et de ne plus croire ceux qui nous disent que l’argent pour tel ou tel portage a permis d’augmenter le portage de 10% alors qu’il n’a même pas augmenté d’1%.

À partir du moment où on ne vérifie pas, chacun essaye de profiter des effets d’aubaine. Et puis on ne peut pas aider à la fois le portage et la poste pour un même titre ! Par contre peut-être que la presse médicale, c’est à eux qu’il faut donner beaucoup pour la Poste mais aussi leur dire “vos 5% de portage allez voir chez les Grecs !”. Puisque, quand on aide — mal — le kiosquier, le portage et la Poste, on aide trois méthodes qui se concurrencent. Une solution : que chacun vienne nous préciser ce qui l’intéresse pour qu’on puisse l’aider sur un domaine en cessant de verser les aides sur les autres. Parce qu’aujourd’hui, il faut savoir qu’on continue, y compris sur ceux dont l’objectif est le portage, d’aider à la Poste pour 10 ou 20%.

Des “pour” ? Des “contre” ?

De toute façon, il y a beaucoup de gens qui sont pour cet immobilisme : l’immobilisme est en marche et rien ne l’arrêtera ! C’est la formule typique de ceux qui ont intérêt à ce qu’il ne se passe rien en se disant que les pouvoirs publics auront la trouille et finiront toujours par donner des sous à un moment donné. Et pendant ce temps-là, on n’aura rien fait pour réfléchir et se moderniser.

Mais j’espère être capable de mettre de mon côté un certain nombre de personnes. Et comme je suis un pessimiste positif je veux positiver et dire que je n’en aurai pas besoin. C’est vrai aussi que si je fais une conférence de presse en disant que, comme rien ne bouge, je ne fais pas le prochain rapport, je peux avoir quelques appuis.

Presstalis a l’air d’être le déclencheur ou en tout cas la catalyseur d’une forme de problème au sein de la presse française. Quelle solution pourrait être apportée ?

Une seule coopérative, c’est suffisant. Les MLP se battent beaucoup sur le sujet, donc la première année il n’y aura pas fusion. Il faut voir si les rapprochements sont assez intelligents pour faire des économies. Mais l’idée que les MLP seraient en très bonne santé alors que Presstalis ne l’est pas est fausse : c’est bien plus compliqué que ça. Et puis ils ont pris ce qui était à peu près rentable en laissant aux autres ce qu’il ne l’était pas… Maintenant je suis prêt à reconnaitre que comme les PME il y a plus de souplesse et de choses intelligentes et qu’ils n’ont pas les problèmes historiques de 30 ans qu’ont les autres. Je ne remets pas en cause cette forme de gestion.

En fait certains éditeurs ayant menacé de passer chez MLP, Presstalis a baissé de 10% ses tarifs et on est en train de revenir — éventuellement — au prix de ce qui était avant, dans une période où il n’y aurait pas eu de concurrence. Deux coopératives en concurrence c’est aberrant. Sinon c’est un système d’entreprises. La fusion des deux, je la pense et la présente comme ça pour affoler tout le monde, mais il faut s’approcher vers ça, avec quand même quelques problèmes notamment au niveau des salaires : les salariés de MLP ne gagnent pas la même chose que ceux de Presstalis. Ils gagnent beaucoup moins et n’ont aucun avantage social. Si on fusionne ou on rapproche, on peut comprendre que les MLP soient affolées de se dire qu’il faudra s’aligner pour les salariés sur le prix le plus haut plus que le plus bas.

Et l’écrémage possible en cas de fusion ?

Si on décide que ce sont deux métiers différents, l’un pour la presse quotidienne et l’autre pour les autres formes de presse, à ce moment-là comme c’est la presse quotidienne qui coûte le plus, on aide les uns et pas les autres. Ou alors on fusionne, on réorganise et à terme il faudra peut-être supprimer 30% de l’addition des deux… Il y a plusieurs pistes. La plus mauvaise c’est de ne rien faire et de dire que ça peut continuer comme ça.

Dans l’ensemble, quelles sont vos priorités ?

Je reste persuadé qu’on ne peut pas laisser mourir la presse papier et que les aides doivent obligatoirement aller vers la presse que j’appelle citoyenne, c’est-à-dire pas forcément celle de l’IPG, mais une partie de la presse quotidienne, la presse hebdomadaire et 2 ou 3 mensuels qui peuvent jouer un rôle dans la réflexion et dans la pensée. Je dis tout le temps — et ça fait hurler — mais pour Gala et Voici par exemple et toute une forme de presse récréative — au demeurant fort intéressante — je comprends moins que le contribuable soit obligé de payer. Ma revue de tennis, les yachts, c’est génial si ce sont vos centres d’intérêts. Je reste persuadé qu’on pourra sauver la presse, aider au portage, au kiosquier, aux marchands de journaux, si les sommes qu’on a là, on les donne un peu moins à d’autres.

Ce qui ennuie mes détracteurs, c’est qu’ils savent que ce sont des dossiers qui m’intéressent depuis longtemps et qu’on ne peut pas me faire avaler n’importe quoi. Une des grandes théories de ces gens-là, c’est de dire que de toute façon on ne pourra pas différencier les formes de presse. Pourtant en 1982 il y avait un taux à 2,10% et un autre à 4. Deux taux différents au sein même de la presse. Ce qui a pu être fait à un moment donné pourra l’être aussi même si c’est plus compliqué. Si Elle vient me voir aujourd’hui en me disant “je considère qu’on a des pages citoyennes” c’est plus difficile de dire non qu’à une période où les choses étaient plus classées. Il n’empêche que pour la presse spécialisée, la presse télévisuelle, cette presse récréative ce sera très simple. Parfois, il faudra qu’il y ait une commission pour trancher.

Ce taux de 2,1% pour l’appliquer à la presse en ligne c’est aussi possible et ce n’est pas une perte de substances pour l’État puisqu’aujourd’hui ça ne représente presque rien. Si ça peut même permettre au développement de la presse en ligne sachant qu’elle coûtera toujours moins chère que la presse papier, alors…

L’objectif, c’est pas de faire la révolution mais une évolution révolutionnaire. Le rôle de l’État c’est d’aider au passage d’une forme de presse à une autre forme de presse sans faire de césure trop importante. On l’a bien compris, il faudra aider encore une presse qui ne correspond plus tout à fait à la réalité mais si on continue à n’aider que les corporatismes pour que rien ne bouge ça ne me paraît pas la bonne solution.


Portrait de Michel Françaix en 2009 par Richard Ying (ccbyncsa) et édité par Owni.

]]>
http://owni.fr/2012/11/20/si-on-decide-de-ne-pas-bouger-la-on-est-mort-francaix-interview/feed/ 11
Lex Google : faites entrer le médiateur ! http://owni.fr/2012/11/15/lex-google-faites-entrer-le-mediateur/ http://owni.fr/2012/11/15/lex-google-faites-entrer-le-mediateur/#comments Thu, 15 Nov 2012 15:33:01 +0000 Andréa Fradin http://owni.fr/?p=125993

Mise à jour, 16/11/2012, 17h40 : avec du retard, le communiqué officiel a été publié. Laconique, il confirme que la “médiation a été confiée à M. Marc SCHWARTZ, associé
au sein du Cabinet Mazars”
. Elle a pour objectif de “faciliter la conclusion, d’ici la fin du mois de décembre, d’un accord sur un partage équitable de la ressource générée par l’utilisation des contenus éditoriaux des sites de presse, qui sont indexés et mis en valeur par les moteurs de recherche.” Faute de quoi, “un mécanisme de rémunération équitable au bénéfice des éditeurs de presse” sera instauré par la voie législative.

A en croire la formulation donc, Google et l’IPG, l’association des éditeurs de presse à l’origine du débat, ne seraient pas les seuls invités autour de la table : “sites de presse” et “moteurs de recherche” dans leur globalité seraient ainsi concernés par l’accord en question.

Mise à jour, 16/11/2012, 13h15 : des sources gouvernementales confirment l’officialisation aux alentours de 15 heures. Le communiqué ne devrait pas comporter la lettre de mission, toujours en attente de la signature des ministres concernées. Elle devrait être finalisée en début de semaine prochaine. Sa publication, au même titre que celle dont avait fait l’objet la lettre de mission de Pierre Lescure, n’est pas exclue.

Mise à jour, 16/11/2012, 12h50 : Selon plusieurs sources proches du dossier, le communiqué de presse officialisant la nomination de Marc Schwartz au poste de médiateur dans le différend opposant Google à certains éditeurs de presse partirait dans l’après-midi. Il devrait être conjoint aux ministères de la Culture et de l’économie numérique, qui se disputaient jusqu’alors la responsabilité du dossier.

La ministre de la Culture Aurélie Filippetti aurait déjà confirmé son nom au détour du discours prononcé hier au Forum d’Avignon (voir à 38′52, le passage ne figure pas dans la version écrite du discours). Nous attendons encore la confirmation du gouvernement, contacté à plusieurs reprises par Owni.

Il était attendu. Pas comme le messie, mais pas loin : le médiateur chargé de trancher les bisbilles qui opposent depuis quelques semaines Google et certains éditeurs de presse a été désigné par le gouvernement. Et devrait recevoir très prochainement sa lettre de mission. Selon nos informations, c’est une histoire de jours : l’officialisation devrait survenir à la fin de la semaine ou en tout début de semaine prochaine.

Lex Google : état des lieux

Lex Google : état des lieux

Oh, les jolis sourires crispés ! Ce lundi 29 octobre, François Hollande, accompagné des ministres Aurélie Filippetti ...

Qui est alors l’heureux appelé ? Depuis hier, le nom de Marc Schwartz, ancien conseiller à la Cour des comptes et actuellement en poste au cabinet Mazars, semble se détacher.

Si les ministères se refusent pour le moment à confirmer l’information, Marc Schwartz semble bel et bien être l’élu. C’est un habitué de ce genre d’affaires : en 2008 déjà, il a conduit “à la demande du Gouvernement, les négociations tripartites entre l’Etat, La Poste et les éditeurs de presse” [PDF]. Le conflit ne portait pas à l’époque sur le web, mais sur les conditions de distribution de la presse.

Cette expérience n’en a pas moins joué dans le choix du personnage, ancien conseiller de Dominique Strauss-Kahn et connaisseur du monde des médias. En 2000, il intègre ainsi France Télévisions, “en tant que directeur financier puis directeur général”, indique sa biographie sur le site de Mazars. Cabinet où il officie aujourd’hui et où il garde également contact avec le monde médiatique, en sa qualité de “conseil au secteur public et aux médias.”

Contacté par Owni, Marc Schwartz fait savoir par ses collaborateurs qu’il ne souhaite pas s’exprimer pour le moment. Même fin de non recevoir du côté de Google ou de l’IPG, “l’association de la presse d’intérêt politique et générale” à l’origine du débat en France, dont nous attendons encore la réaction.

Il faut croire que l’apaisement reste le mot d’ordre. Du moins pour l’instant : une fois la lettre de mission publiée et les orientations gouvernementales précisées sur papier, les deux parties devraient à nouveau fourbir leurs armes pour peser dans la négociation. Pour rappel, certains éditeurs de presse, IPG en tête, veulent que Google paye pour faire figurer dans ses services (moteur de recherche, Google Actu) des liens menant aux articles des titres quand le géant américain lui, refuse de payer pour un contenu qu’il n’héberge pas.

Google se paie la presse

Google se paie la presse

C'est la guerre ! Face au projet de loi de certains éditeurs de presse qui souhaitent faire payer Google dès qu'il ...

Une impasse à laquelle le calendrier de discussion mis en place par le médiateur sous l’égide des ministères de l’économie numérique et de la Culture devra apporter une solution. Le temps presse : François Hollande souhaite que les négociations soient “conclusives d’ici la fin de l’année”. Faute de quoi “une loi pourrait intervenir sur cette question”. Reprenant l’idée de l’instauration d’un droit voisin pour la presse en ligne, loin de faire l’unanimité, y compris chez les éditeurs de presse.

Joint par téléphone, Maurice Botbol, le président du Spiil (Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne, qui comprend Mediapart, Rue89 ou Slate) réaffirme par exemple ses doutes sur la démarche menée par ses confrères de l’IPG. Il explique par ailleurs ne pas avoir été associé aux discussions menées jusqu’à présent mais n’exclue pas de contacter le médiateur une fois celui-ci nommé :

J’espère que l’ensemble des parties prenantes seront associées aux discussions. Il serait paradoxal que seule l’IPG y participe, car il est ici question de presse en ligne.


Illustration par Owni /-)

]]>
http://owni.fr/2012/11/15/lex-google-faites-entrer-le-mediateur/feed/ 7
“Nous ne voulons pas payer pour un contenu que nous n’hébergeons pas” http://owni.fr/2012/11/05/nous-ne-voulons-pas-payer-pour-un-contenu-que-nous-nhebergeons-pas-google-eric-schmidt/ http://owni.fr/2012/11/05/nous-ne-voulons-pas-payer-pour-un-contenu-que-nous-nhebergeons-pas-google-eric-schmidt/#comments Mon, 05 Nov 2012 17:13:53 +0000 Andréa Fradin http://owni.fr/?p=125111 New York Times que sa firme ne paierait pas pour d'autres contenus que les siens. Entre les éditeurs de presse et Google, la trêve est loin d'être entamée.]]>

Portrait d'Eric Schmidt, PDG de Google par Paul Livingstone (CC-bync)

Lex Google : état des lieux

Lex Google : état des lieux

Oh, les jolis sourires crispés ! Ce lundi 29 octobre, François Hollande, accompagné des ministres Aurélie Filippetti ...

Entre Google et la presse, la situation se décante lentement. L’appel à l’apaisement, lancé dans les deux camps suite aux crispations des dernières semaines, semble avoir été entendu, dans l’attente de l’entame des “négociations” récemment souhaitées par François Hollande. Du moins en apparence. Car de son côté, Google continue tranquillement d’avancer ses pions. Et de camper sur ses positions.

“Nous ne voulons pas payer pour un contenu que nous n’hébergeons pas” a ainsi affirmé Eric Schmidt au New York Times, suite à sa tournée européenne. Bien sûr, le patron de Google garde une certaine mesure, assurant que les discussions avec François Hollande ont été “bonnes”. Mais fait aussi comprendre que le Président français n’est pas seul maître à bord. Et qu’il entend faire peser la voix de Google :

A chaque fois qu’il y a une négociation avec un gouvernement, il faut être très clair sur ce que l’on fera et ce que l’on ne fera pas. Et nous ne voulons pas payer pour un contenu que nous n’hébergeons pas. Nous sommes très clairs là-dessus.

Lex Google pour les nuls

Lex Google pour les nuls

Si les éditeurs de presse français n'ont pas encore déclaré officiellement la guerre à Google, le manège y ressemble. ...

Et le journal américain de commenter : “si la rhétorique de Google est toujours amicale, sa position est tout aussi ferme”. Le projet de loi soutenu par certains éditeurs de presse français et européens, qui demandent à Google de payer pour signaler leurs articles par des liens hypertexte, ne fait pas exception. Pour Eric Schmidt, c’est non. Le patron de Google a beau envisager une “sorte d’accord d’ici la fin de l’année”, rejoignant ainsi le souhait de François Hollande, il pose d’abord ses conditions. Et les expose dans la presse. Ses interlocuteurs sauront en apprécier l’ironie.

Certes subtiles, ces déclarations n’en tranchent pas moins avec les communiqués publiés par l’Elysée et Google suite à la rencontre de leur deux boss. D’un côté comme de l’autre, très peu d’informations avaient filtré. Encore aujourd’hui, il est difficile de connaître les modalités du “dialogue” et des “négociations” que François Hollande veut voir “rapidement s’engager et être conclusives d’ici la fin de l’année.”

Du côté de Google d’ailleurs, on affirme ne pas avoir connaissance d’un éventuel calendrier de discussions. Rien de tel n’aurait été “annoncé”, déclare-t-on à Owni. Et de seriner les éléments de langage d’usage : “Google discute depuis longtemps avec les éditeurs de presse”. Le mode de discussion resterait à les en croire inchangé.


Portrait d’Eric Schmidt, PDG de Google par Paul Livingstone [CC-bync] bidouillé par O.Noor pour Owni.

]]>
http://owni.fr/2012/11/05/nous-ne-voulons-pas-payer-pour-un-contenu-que-nous-nhebergeons-pas-google-eric-schmidt/feed/ 86
La sève des 70′ recueillie http://owni.fr/2011/10/06/les-oublies-de-la-presse-parallele-des-seventies/ http://owni.fr/2011/10/06/les-oublies-de-la-presse-parallele-des-seventies/#comments Thu, 06 Oct 2011 06:33:19 +0000 Emilien Bernard (Article XI) http://owni.fr/?p=81993

Les sixties & seventies, âge d’or d’une presse hexagonale libre, intelligente et méchamment irrévérencieuse blablabla, Actuel blablabla, vaches sacrées blablabla, ce journal est un pavé… Yep, c’est lu et relu, battu et rebattu. Pourtant, derrière le poncif se cache une réalité souvent méconnue. Et à trop ramener la période à quelques figures tutélaires un tantinet momifiées (Hara-Kiri et Choron, L’Enragé et Siné, Actuel et Bizot), on passe à côté des composantes essentielles dudit âge d’or : diversité, vitalité et virulence généralisées.

Dans un paysage médiatique contemporain largement dominé (en matière de presse papier, en tout cas) par un journalisme de révérence, mou et fade comme une endive, il est toujours utile (et un peu triste) de rappeler qu’un autre rapport à la presse a existé, que cette dernière était massivement distribuée (en comparaison des journaux dissidents contemporains) et que cette réappropriation de la parole n’était pas uniquement le fait de quelques locomotives isolées mais l’expression d’une époque (plus) enflammée.

C’est là tout l’intérêt du très récent livre de Steven Jezo-Vannier, Presse parallèle, la contre-culture en France dans les années 1970, publié aux éditions Le Mot et le reste, qui livre un panorama détaillé et vivant des différents acteurs de l’explosion d’une presse libre en France. Tout, Le Parapluie, Zinc, Le Torchon brûle, La Gueule ouverte, Le Petit Mickey qui n’a pas peur des gros, Interaction, Sauvage… une myriade de titres, en grande partie éphémères, ouverts à des thématiques diverses (féminisme, écologie politique, bande-dessinée, rock, sexualité), mais se retrouvant dans une même pratique de la presse : libre, urgente et débridée.

Derrière les titres emblématiques (Hara-Kiri, Actuel, L’Enragé), légendaires, on découvre dans votre ouvrage une foule de canards plus méconnus : Tout, Politicon, Le Parapluie, Geranonymo… Avec également une presse dissidente locale très active et un nombre de fanzines impressionnant. Pourquoi une telle effervescence ? Et pourquoi n’a-t-elle pas tenu la distance ?

Steven Jezo-Vannier: Il y a effectivement à cette époque énormément de titres, la plupart bien moins connus que Tout ou Le Parapluie : quelques petites centaines de journaux, témoignages d’une effervescence rare, elle-même reflétant la diversité des voix libérées durant ces années.

La fin des années soixante est marquée par le combat pour l’existence en tant qu’individualité propre, chacun affirmant son unicité. Il y a évidemment une jeunesse unie et cohérente qui aspire à gagner en liberté et surtout en reconnaissance, mais cette jeunesse est tout sauf uniforme, elle revendique haut et fort son hétérogénéité. Le mouvement underground qui fait naître la presse parallèle affirme la pluralité de ses composantes. Chacun souhaite y faire entendre sa différence, sa sensibilité, et utilise la presse libre pour le faire, d’où la multiplicité des titres.

Avant le premier choc pétrolier, réaliser un journal est facile et peu onéreux : les modes de fabrication en série se sont extraordinairement démocratisés, et le prix du papier et des encres reste faible. D’ailleurs, lorsque la crise de 1973 entraîne une flambée des coûts de la matière première, plus d’un journal cesse de paraître.

Mais le fait que la presse parallèle ne soit pas parvenue à s’inscrire dans la durée résulte d’une combinaison de facteurs : à la hausse des prix, il faut ajouter que la plupart des titres ne sont pas rentables et ne cherchent pas nécessairement à l’être ; sur le plan financier, les journaux underground étaient voués à une existence cyclique. La quantité de titres est impressionnante sur toute la période, mais la plupart sont extrêmement éphémères et se limitent à une ou deux parutions. Des journaux meurent à un endroit, d’autres naissent ailleurs.

Autre raison de poids : tous les jeunes qui font vivre cette presse sont tôt ou tard contraints d’effectuer leur service militaire, qui les éloigne du front de la contestation et de l’activité culturelle pendant un an (à partir de 1970).

Enfin, et je pense que c’est là la raison majeure : les acteurs de la presse parallèle n’ont pas pour objectif de durer, à de rares exceptions près (en l’occurrence, Actuel et Hara-Kiri/Charlie, qui y sont parvenus grâce au professionnalisme). Une majorité souhaite simplement dire ce qu’elle a à dire, vivre une expérience avant de passer à autre chose. Le Parapluie s’est arrêté alors qu’il était parvenu à s’installer et s’affirmer à la proue du mouvement, avec une relative stabilité financière. Pour ses fondateurs, le tour de la question avait été fait.

Il faut bien comprendre également qu’une large partie des artisans de la presse parallèle cherchent à s’investir hors des sentiers battus. Cinq ans après 1968, la presse parallèle n’a plus rien de nouveau, elle ne représente plus un enjeu pour la liberté, elle fait partie des acquis. Elle est donc moins vivace.

“Hors presse libre, pas de révolution”

1789, La Commune, mai 68… Les périodes révolutionnaires sont toujours accompagnées d’une floraison de journaux. Hors révolution, pas de presse libre ?

Le contexte révolutionnaire crée un contexte favorable, c’est indéniable. De là à dire qu’il n’y a pas de presse libre sans révolution, il y a un pas de géant. Preuve en est la diversité actuelle des blogs et autres pages web, aussi critiques et acerbes que l’était la presse libre. Sommes-nous en révolution ? Je ne crois pas…

À l’inverse, je ne pense pas qu’il puisse y avoir révolution sans presse parallèle. Du coup, je dirais plutôt : hors presse libre, pas de révolution. La presse papier ou virtuelle est le média de la parole, elle sert à dire et faire entendre. De ce fait, la liberté de la presse devient systématiquement l’enjeu privilégié et prioritaire des mouvements de contestation.

Beaucoup de titres sont confrontés à des procès voire à des interdictions de publication dans les années 1970 : La Cause du peuple, L’Idiot, Hara-Kiri… Les pouvoirs en place tentaient vraiment de les démolir ?

Je ne sais pas si l’on peut dire “beaucoup” : La Cause du peuple, L’Idiot et Hara-Kiri ne sont que trois au milieu d’un océan de journaux. Cependant, ils comptent parmi la petite dizaine de titres les plus stables, les plus populaires et les plus audibles, d’où une certaine méfiance du pouvoir.

Je crois que le regard des autorités est différent selon les cas : La Cause du peuple est dangereux parce qu’il incarne une extrême gauche révolutionnaire combattive et déterminée, capable de mener des actions extrêmement fortes. On est encore dans le mythe de la “classe dangereuse”, d’un côté comme de l’autre. La classe ouvrière est incomprise du pouvoir, jugée instable et peu docile du fait de son engagement et de son importance numérique. D’autre part, La Cause du peuple est soutenue par une partie de l’élite intellectuelle, rangée derrière Sartre et Beauvoir et beaucoup de ses acteurs sont eux-mêmes issus de Normale Sup. Cette union maoïste effraie certainement le pouvoir.

L’Idiot, de son côté, paye son soutien au premier, puis sa liberté de ton, tout comme Hara-Kiri. À la fin des années soixante, la liberté de parole n’est pas encore une réalité concrète. Il y a deux freins majeurs à cela : d’une part, la tradition de respect, sinon de soumission, au pouvoir et aux “bonnes mœurs” ; d’autre part, le poids des autorités dans le contrôle de l’information. Les journaux condamnés payent pour leur irrévérence. Le cas Hara-Kiri est éloquent : se moquer de la mort du Général est l’insolence de trop pour un journal qui a déjà largement fait reculer les limites du supportable aux yeux d’un pouvoir encore très marqué par la morale.

De fait, si les journaux libres sont sans doute craints, le pouvoir ne peut guère s’opposer à eux et réellement chercher à les démolir. La bande du Professeur Choron a multiplié les provocations avant d’être sanctionnée, illustration d’une certaine souplesse du pouvoir. Je vois les interdictions prononcées comme les derniers remous d’une agonie. Le mouvement de la presse libre était irrépressible, le pouvoir a tenté de durcir le ton une dernière fois avant de succomber et d’accepter de mettre fin au contrôle direct de l’information.

” La presse parallèle est la première à parler ouvertement et sans complexe de sexualité”

Vous mentionnez l’existence dans les années 1970 d’un Syndicat de la Free press basé aux États-Unis. Comment fonctionnait-il ?

L’Underground Press Syndicate (UPS) est une coopérative qui prône la gratuité et la liberté totale de l’information. Il réunit tous les grands organes de la presse parallèles qui le souhaitent, leur permettant de se renforcer, de gagner en unité et d’organiser un réseau à l’échelle internationale, puisqu’il cherche à étendre ses ramifications par delà l’Atlantique.

Créé en 1966, son objectif est d’abord d’assurer la cohésion et la protection des journaux membres, tout en reliant les différents pôles de contestation à travers le pays : le Village Other de New York, le Berkeley Barb et l’Oracle de la Baie de San Francisco, le L.A. Free Press de Los Angeles, le Rag du Texas, etc.

Par la suite, l’UPS s’est ouvert aux titres des autres pays, notamment français (entre autres, Actuel et Le Parapluie). L’apport pour ces journaux est extrêmement important, car il va leur permettre de recueillir et transmettre toute l’actualité des mouvements américains et de faire circuler l’information en France. Et donc, de faire vivre le réseau. Mais l’apport majeur tient peut-être plus à la forme qu’au contenu. Libre de droit, les dessins (essentiellement ceux de Robert Crumb), le style de mise en page, les couleurs, l’influence psychédélique, tout est repris par des titres français qui s’inspirent très largement des “grands frères” anglais et américains – l’évolution graphique d’Actuel en témoigne.

En revanche, aux États-Unis, le rôle international de l’UPS n’a pas aussi bien fonctionné : à la pointe de la contestation contre-culturelle, les journaux anglo-saxons n’ont pas eu besoin de reprendre des éléments français. Le syndicat a davantage servi de lien entre les foyers alternatifs : le Haight à San Francisco, le Village à New York, Venice à Los Angeles…

Cette presse que vous décrivez semble surtout avoir joué un rôle majeur dans la diffusion de la problématique révolutionnaire à des domaines jusqu’ici ignorés par l’extrême-gauche : libération sexuelle, écologie, révolution culturelle… C’est la raison de son succès ?

Oui, je le pense sincèrement. Le fait de questionner les mœurs et la société tout entière, non plus seulement dans son aspect socio-politique, mais en remettant en cause le rapport à l’autre et à la différence, a totalement bouleversé la dynamique révolutionnaire. La presse parallèle a joué un rôle de support et de vecteur pour ces nouvelles interrogations, elle a su s’extraire du carcan de la réflexion d’extrême-gauche et s’adresser au plus grand nombre. Ce qui n’a pas été forcément bien reçu par les tenants de la stricte révolution marxiste.

La presse parallèle est la première à parler ouvertement et sans complexe de sexualité, de la place de la femme, d’écologie et de tout un tas de sujets ignorés ou tus par l’extrême-gauche comme par le grand public. La pluralité des thèmes abordés a permis à cette presse de dialoguer pour la première fois avec une foule de gens qui n’osaient pas parler de leurs différences ou de leurs engagements. Elle a brisé des tabous pour devenir un exutoire de souffrances. Son succès réside essentiellement là.

Un journal comme Tout semble symboliser ce glissement d’une presse purement politique à une presse investie dans des luttes générationnelles. Quelle était sa ligne ? Pourquoi ne retrouve-t-on aucun journal de ce genre de nos jours ?

Tout est effectivement le symbole de l’ouverture des gauchistes aux plus larges préoccupations de la jeunesse. Il résume le glissement qui s’opère vers de nouveaux questionnements. Sa ligne est résumée dans son titre : Tout est un journal de combat sur tous les fronts, s’adressant aux différents pans de la société.

Son sous-titre précise : “Ce que nous voulons”, le “nous” y rappelle l’unité de la jeunesse, destinataire principal du journal, et le verbe vouloir conjugué au présent renvoie à sa détermination. Tout est propre à son contexte. Ses auteurs ont compris que Mai 68 était davantage l’illustration d’une colère de la jeunesse, jusque-là contrainte au silence et à la résignation, que l’œuvre révolutionnaire d’une classe en marche.

De nos jours, le contexte est moins propice à l’émergence d’une telle presse : l’illusion de totale liberté berce une majorité et maintient encore l’activité contestataire dans un underground inaudible.

En lâchant le côté frontalement politique des premières publications des années 1950 et 1960 (Action, Internationale Situationniste), cette presse parallèle n’a-t-elle pas, in fine, servi le camp adverse, diluant le message politique dans une multitude de causes éparses ?

Plusieurs choses à souligner, ici. Tout d’abord, Action et l’Internationale Situationniste n’étaient pas uniquement focalisés sur la question politique.

D’autre part, je ne pense pas que le message politique ait été “dilué” dans la mesure où il s’est additionné à des revendications non-politiques d’intensité au moins égale. Enfin, je dirais que “servir le camp adverse” aurait consisté à laisser la presse parallèle à sa marginalité, à la résumer à cette petite presse d’extrême-gauche uniquement connue de rares initiés. Autrement dit, à ne pas globaliser les luttes. La presse parallèle a été ce qu’elle a été parce qu’elle avait étendu ses problématiques hors des frontières habituelles de la réflexion politique. L’addition de “causes éparses” lui a permis de s’adresser à toute la jeunesse, et non plus seulement à une minorité d’étudiants parisiens politisés. Mai 68 n’aurait jamais eu une telle importance si le mouvement s’en était tenu à ses préoccupations strictement politiques…

“Sans interdit, l’insolence perd de sa substance”

Aujourd’hui, aucun journal véritablement dissident (sans pub, sans concession politique, sans argent) ne parvient à rivaliser avec les tirages de l’époque, pas même La Décroissance ou Fakir, les deux titres les plus vendus. Pourquoi cette différence de diffusion ? Il est plus compliqué aujourd’hui de faire vivre un titre ?

Il est, je crois, incontestablement plus difficile de faire vivre un journal, d’autant plus s’il s’agit d’un journal alternatif. Il faut se souvenir que dans les années 1960-1970, il n’existe aucun autre média que la presse parallèle pour faire vivre la contestation : ni réseaux sociaux, ni Internet, ni même de radios libres (il faut attendre l’aube des années 1980 pour cela).

Aujourd’hui, la pluralité des moyens d’expression et leur simplicité d’accès ringardisent inévitablement les outils traditionnels. La jeunesse actuelle n’a pas grandi avec l’habitude d’aller chercher le journal, elle a évolué dans le virtuel. Rien d’étonnant, donc, à ce que le support papier ne parvienne pas à la toucher aussi aisément que la jeunesse quarante ans en arrière.

Paradoxe : alors que les procès pour pornographie ou outrage pleuvaient dans les années 1960 et 1970, alors que la législation sur la question s’est depuis allégée, aucun titre contemporain ne peut rivaliser avec l’outrance joyeuse d’Hara-Kiri ou la virulence politique de L’Enragé. Pourquoi ? L’heure n’est plus à la contestation ?

Pour être subversif, il faut violer un interdit ; sans interdit, l’insolence perd de sa substance. C’est précisément parce que la législation s’est allégée qu’il n’y a plus autant d’intérêt à provoquer le pouvoir. Les mouvements de contestation doivent être vus, il me semble, comme des ressorts : plus ils sont comprimés, plus ils bondiront haut et loin. Ainsi, plus le pouvoir sera dur, plus la contestation sera vive. L’histoire en donne largement la preuve : il est plus difficile de mener une lutte révolutionnaire à son terme dans un pays dit “démocratique” que sous une dictature. Ajoutons à cela une bonne dose de “politiquement correct” dans le climat actuel, et nous obtenons les raisons du manque de panache des titres contemporains. La pression ne vient plus du pouvoir, la retenue n’est plus imposée, elle s’impose d’elle-même.

“Tous sont rentrés dans le rang, par choix ou par résignation”

La censure de nos jours semble aussi plus insidieuse, relevant davantage de blocages économiques et structurels…

Même raisonnement : si la censure n’est pas directe, elle est plus efficace puisque plus difficilement combattue. Aujourd’hui, plus d’ORTF ni de ministère de l’Information. Tout se fait en coulisse, avec les jeux d’intérêts, de pouvoir et de clientélisme, les amitiés entre le pouvoir et les grands groupes médiatiques… Cependant, les difficultés que rencontrent les journaux alternatifs aujourd’hui doivent sans doute plus au contexte qu’à l’œuvre de la censure.

Aucun des journaux survivants des seventies n’en a gardé l’esprit véritablement frondeur – ni Libé, ni Charlie Hebdo, ni L’Écho des Savanes… On ne peut pas tenir sur la distance une entreprise de démolition en règle ?

Pour la majorité, les difficultés financières, le manque de renouvellement ou d’envie ont coupé court à toute prétention de survie. D’autres sont parvenus à se maintenir, au prix de nombreux sacrifices, parfois jusqu’à aujourd’hui.

Première chose à noter : tous ceux qui ont survécu étaient déjà des structures professionnelles aspirant à une vente en règle, dans les kiosques et librairies. Il y avait d’emblée une volonté de s’inscrire dans la durée, et donc d’être près au sacrifice. Cette disposition explique leurs évolutions postérieures. Tous sont rentrés dans le rang, par choix ou par résignation. Les uns ont oublié la fougue de la jeunesse, d’autres ont accepté les règles du jeu : Libé a dû renoncer à son principe autogestionnaire pour dépasser les querelles intestines, Charlie a perdu une partie des auteurs qui faisait son talent et peut-être aussi un peu de son inspiration, L’Écho a accueilli de nouvelles générations, pas forcément moins bonnes, mais différentes, avec de nouveaux enjeux. Les titres qui ont réussi à se maintenir ont parfois évolué avec leur public, avant d’accueillir de nouveaux auteurs qui – eux – n’ont pas grandi avec la même soif subversive.

“La toile est à l’image de la presse libre”

En conclusion, vous semblez reporter sur Internet l’espoir d’un renouvellement de la presse parallèle. Hors l’investigation (Mediapart, parfois Rue89, Owni), le Net ne semble pourtant pas vraiment adapté à la démarche des “glorieux” prédécesseurs évoqués dans votre livre. Hara-Kiri ou La Gueule ouverte sur Internet n’auraient aucun sens, non ?

Ces “glorieux” prédécesseurs ont gagné leur notoriété par leur petit nombre et leur rôle de défricheurs. Aujourd’hui, il n’est plus possible de retrouver cet esprit pionnier. La presse parallèle actuelle est donc moins spectaculaire, sans doute, mais elle continue d’entretenir le débat et de porter des idées, objectifs premiers des titres des années soixante-dix.

Il me semble qu’Internet, derrière l’immense majorité de pages sans grand intérêt, fourmille de sites dédiés à cela. C’est parce que cette “presse” est toujours minoritaire et différente qu’elle reste parallèle… Vous évoquez la démarche des “glorieux” prédécesseurs, mais vous oubliez la masse des anonymes, les petites feuilles de chou artisanales faites par des amateurs qui ont simplement envie de donner leur point de vue sur tel ou tel sujet. À l’évidence, le blog en est le digne successeur. Le but de la presse parallèle est de donner la parole au plus grand nombre, Internet offre cette possibilité. La toile est à l’image de la presse libre, puisque par définition elle se veut libre, indépendante et combattive.

Malgré tout, il est vrai que dans les années 1960-1970, la forme importait autant que le fond, car les artisans de la presse parallèle ont décloisonné l’une comme l’autre. Ils ont apporté de la couleur, des images, les ont mêlés aux textes, ont sorti les mots de leurs cadres habituels. La forme reflétait le fond, tout comme les cheveux longs étaient une application quotidienne et visuelle des idées qui se cachaient dessous. Une façon de sortir de la norme, de l’assumer et de le revendiquer visuellement.


Article initialement publié sur Article XI sous le titre “Steven Jezo-Vannier – Les années 1970, âge d’or de la presse parallèle ?”

Illustrations et photos depuis Article XI et l’interouèbe. Édition photo, Ophelia Noor pour Owni

]]>
http://owni.fr/2011/10/06/les-oublies-de-la-presse-parallele-des-seventies/feed/ 3
Information du futur: trouver la réalité dans le code http://owni.fr/2011/05/31/information-du-futur-trouver-la-realite-dans-le-code/ http://owni.fr/2011/05/31/information-du-futur-trouver-la-realite-dans-le-code/#comments Tue, 31 May 2011 10:04:28 +0000 Roland Legrand http://owni.fr/?p=65358 Notre site d’information www.tijd.be existe depuis 15 ans désormais. En mai 1996, disposer d’une connexion internet 128kbit relevait de l’exception. Aujourd’hui, bénéficier d’un débit de 100 mégabits paraît tout à fait normal (en Belgique du moins).

En 2026, la vitesse ne constituera plus un problème. L’accès aux réseaux, aux flux d’information et aux bases de données sera instantané, peu importe l’endroit où vous vous trouvez dans le monde. Les smartphones et les tablettes qui nous permettent aujourd’hui de rester connectés en permanence apparaîtront dans quinze ans aussi obsolètes et archaïques que les Remington de nos collègues ancestraux. Être connecté à Internet sera une commodité au même titre que l’air que nous respirons, et l’information nous parviendra de 36 nouvelles façons.

Des sociétés comme Apple, par exemple, commercialiseront des habits “intelligents” et certains éléments électroniques vous seront même implantés directement dans le corps.
Comme très souvent en matière de technologie, c’est l’armée qui est à l’origine de ces développements. Les pilotes d’avion disposent depuis longtemps déjà d’un environnement visuel “augmenté” (head-up displays – HUD), de toutes les informations nécessaires à l’accomplissement de leur mission. L’intégration de ce même dispositif dans les voitures de luxe marquera le début de la transition de cette technologie vers un usage mainstream.

Les claviers seront remplacés par les commandes vocales, les gestes et le tactile. Les écrans deviendront des projections que vous pourrez manipuler en 2D ou en 3D. L’information sera de plus en plus contextuelle et viendra se superposer à la réalité, voire s’y intégrera, la transformant en réalité virtuelle dans laquelle nous jouerons à des jeux hybrides.

Le futur n’est bien sûr pas qu’une histoire de gadgets plus ou moins sophistiqués. La nature de cette information omniprésente va elle aussi muter, posant la question de l’organisation de ces flux.

La personnalisation de l’information

Les médias disposent tous, ou presque, de leur propre application via laquelle ils portent à la connaissance du public les contenus produits et sélectionnés par leur staff éditorial. Mais des applications comme Flipboard sont en train de changer la donne. Conçues en dehors du sérail médiatique traditionnel, ces applications transforment en un véritable magazine multimédia personnalisé le flux des articles, photos et vidéos recommandés par les individus de votre réseaux: vos “amis” et “followers”.

Certains articles viennent de The New York Times, d’autres du Wall Street Journal et de TechCrunch. Les algorithmes de ces services apprennent à vous connaître, à reconnaître les articles que vous lisez et enregistrent combien de votre précieux temps vous leur consacrez. Facebook n’affiche dans votre newsfeed que les statuts des personnes qui sont les plus importantes à vos yeux, en tout cas selon l’algorithme de Facebook. La personnalisation de l’information est d’ores et déjà une réalité, et ne va aller qu’en s’amplifiant.

Dans son livre The Filter Bubble, Eli Pariser explique comment Google calcule les résultats de vos recherches non seulement selon les termes de celles-ci mais aussi en fonction de l’ordinateur et du navigateur que vous utilisez, de l’endroit où vous vous trouvez dans le monde, etc. Ce qui veut dire qu’un individu effectuant la même recherche que vous, avec les mêmes mots-clés, recevra selon toute évidence des résultats différents des vôtres. Trouver quelque chose sur le web qui ne sera pas adapté et personnalisé à vos goûts relèvera de plus en plus de l’exception.

Le temps des mass-médias paternalistes qui vous suggéraient toujours les mêmes infos, qui que vous soyez, où des journalistes omniscients décidant seuls de ce qu’il était “bon et important” de savoir, est révolu.

Mais, comme le souligne également Eli Pariser dans son intervention à TED, le danger de cette persocialisation à outrance de l’information est de s’enfermer dans une bulle de confort, n’étant in fine confronté qu’à des infos que moi et mon réseau “aimons”, nous privant de l’accès à celles que nous devrions peut-être avoir.

Il y a des garde-fous humains. Et il y a les algorithmes. Nous en savons encore moins sur ces algorithmes que sur les éditeurs humains. Nous pouvons avoir une idée de la sélection éditoriale du New York Times, mais de nombreuses personnes ne sont même pas au courant que Google leur montre des résultats différents, qui reposent sur de prétendus critères personnels, de même qu’ils ne sont pas toujours conscients de la sélection des statuts opérée par Facebook.

Le code utilisé par les grandes compagnies pour filtrer ce que nous voyons a une importance politique. Si nous voulons conserver un Internet qui nous confronte à une diversité de points de vue et à des histoires, des faits, qui nous surprennent et nous éclairent, nous devons être conscients de ces débats autour des algorithmes et des filtres. Si nous n’y prêtons pas attention, nous serons programmés dans notre dos.

Au-delà de tous ces filtres, humains, réticulaires et algorithmiques, nous trouvons un flux d’informations toujours plus conséquent. Tweets, statuts mis à jour, billets d’experts sur des blogs; témoins et acteurs nous immergent, seconde après seconde.

Je suis sûr qu’en 2026, il y aura quelque chose que nous appellerons “journalisme”: des gens qui ont la passion de certains sujets, aimant sélectionner, vérifier et commenter, en apportant des éléments de contexte. La BBC a déjà un desk spécialisé qui analyse images et textes diffusés sur les réseaux sociaux: ils vérifient si une photo spécifique a bien pu être prise à l’endroit et au moment prétendus, pour ne donner qu’un exemple. Presque chaque jour, émergent de nouveaux outils de curation pour les journalistes et les blogueurs, qui facilitent l’utilisation des médias sociaux.

“La transparence est la nouvelle objectivité”

La curation de l’information est une activité à forte valeur ajoutée. Peu importe si ces “curateurs” se désignent comme journalistes , blogueurs, éditeurs de presse ou éditeurs en ligne: l’importance se place dans la qualité de la curation et dans le débat sans fin suscité par ces pratiques.

Quiconque a l’énergie et le temps de jeter un oeil aux flux d’informations brutes serait capable de voir la façon dont la curation ajoute, omet ou modifie les choses. Non seulement nous serions capables de l’apprécier, mais nous sommes également invités à améliorer ou à directement participer à certains projets de curation – comme Quora.

Blogueurs et journalistes qui déclarent clairement leur positionnement par rapport à l’actualité qu’ils couvrent, y compris quand ils promettent dans un même temps de représenter d’autres points de vue, seront considérés comme plus crédibles. Ceux qui seront ouverts sur leur pratique de la curation y gagneront un avantage. Comme le note Jeff Jarvis: “la transparence est la nouvelle objectivité”.

En mai 2026, les articles de fond d’un journal atteindront notre communauté de bien des façons. Je ne pense vraiment pas que le journal imprimé aura la même pertinence qu’aujourd’hui, et les gens souriront quand ils verront des captures d’écran des sites actuels. Mais il y aura toujours des informations et des discussions, des gens essayant de couvrir ce qui est essentiel dans le flot d’informations et tentant de trouver la réalité à travers les codes des algorithmes.

En préparant ce post, j’ai beaucoup appris en discutant sur Twitter, Facebook, LinkedIn, The Well, Quora… Dans un souci de transparence, j’ai annoncé ces préparations. Vous trouverez des liens vers les vidéos et articles originaux, ainsi que vers les choses finalement mises de côté pour ce billet, qui peuvent néanmoins être intéressantes pour d’autres explorations.


Article initialement publié sur Mixed realities, et dans le quotidien De Tijd sous le titre “Finding reality while looking through code”. Roland Legrand est News Manager chez Mediafin, qui édite notamment le quotidien économique De Tijd.

Traduction Damien Van Achter et Andréa Fradin.

Illustrations CC FlickR: NightRPStar, cdrummbks, Martenbjork

]]>
http://owni.fr/2011/05/31/information-du-futur-trouver-la-realite-dans-le-code/feed/ 6
La presse va toujours bien! http://owni.fr/2011/04/06/la-presse-va-toujours-bien/ http://owni.fr/2011/04/06/la-presse-va-toujours-bien/#comments Wed, 06 Apr 2011 06:30:42 +0000 Erwann Gaucher http://owni.fr/?p=55246 C’est toujours une grande tentation pour tous les malades : trafiquer le thermomètre pour (avoir l’impression de) se porter mieux. Et la presse écrite made in France n’est pas la dernière à succomber à cette tentation. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder les chiffres 2010 de l’étude EPIC qui, chaque année, mesure l’audience des quotidiens de l’hexagone.

Comme tout le monde, je l’ai parcouru rapidement, mais c’est une phrase en particulier qui m’a interpellé : ” Près d’un Français sur deux lit chaque jour un quotidien. L’audience de la presse quotidienne se maintient à un haut niveau “.  C’est à n’y rien comprendre… La presse quotidienne va bien ? Un Français sur deux lit chaque jour un quotidien ? Celles et ceux qui expliquent que la presse quotidienne va mal se seraient donc gravement trompés ? Diantre, regardons cela de plus près ce fameux thermomètre.

Et attention, là, on n’est pas dans le thermomètre de grand-maman, qui se baserait seulement sur le nombre d’exemplaires vendus de chaque journaux pour en connaître la véritable diffusion. On est dans le méthodique, le pointu, puisque ce ne sont pas moins de 25 779 interviews qui ont été réalisées par téléphone  pour mesurer précisément, presque scientifiquement, l’audience des quotidiens nationaux et régionaux, des quotidiens urbains et gratuits, de la presse hebdo régionale, des quotidiens hippiques et des quotidiens du 7è jour. Le tout est ensuite compilé, exploité, pondéré pour un résultat chaque année semblable ou presque : la presse écrite se porte beaucoup mieux qu’on ne le dit. Et les résultats de l’étude 2010 ne dérogent pas à la règle, la preuve :

Capture d'écran 2011-04-05 à 08.55.46

La presse quotidienne en général va donc beaucoup mieux qu’on ne le dit ici ou là puisqu’elle affiche une santé globale très stable : -0,1% et que ses différentes famille se portent bien. Elle reste même un rendez-vous incontournable pour presque la moitié de la population puisque ” plus de 23 millions de personne, soit 46,3% des Français de 15 ans et plus lisent au moins un titre de presse quotidienne” nous explique-t-on. Les Cassandre de tout poil qui annoncent un peu partout la mort du papier, ou tout au moins sa très mauvaise santé, sont donc priés de se taire. ” Tout va très bien, madame la marquise “, aurait-on sans doute chanté en d’autres temps pour présenter cette étude…

Tout va très bien, madame la marquise, tout va très bien pour les quotidiens français

Il faut dire que pour en arriver à de tels résultats, les éditeurs et les sondeurs en charge de l’enquête ne ménagent pas leur peine. Chaque année, ce sont des dizaines de réunions, des centaines de mails qui sont échangés entre les représentants de chaque famille de presse pour négocier pied à pied la sensibilité des différents curseurs. Avec un objectif commun : présenter un bilan de santé le plus flatteur possible aux annonceurs. Car ces derniers, on le sait, n’investissent leur publicité que dans les médias qui vont bien, qui se développent, qui voient le nombre de leurs lecteurs augmenter.
Quitte pour cela, à réussir de véritables exploits en termes d’acrobaties statistiques. Car pour les non-initiés pourraient s’étonner des chiffres. Cette fameuse presse quotidienne par exemple, qui affiche une stabilité rassurante (pour les annonceurs) avec une audience qui ne recule que de 0,1% en 2010. Chiffre pour le moins étonnant lorsque l’on regarde les diffusions officielles (OJD) des mêmes journaux.

Si l’on cumule les ventes totales des quotidiens nationaux, quel résultat trouve-t-on ?

2009 2010
Aujourd’hui en France 187 786 173 576
La croix 103 738 106 151
Les Echos 127 361 120 444
Le Figaro 331 022 330 237
L’humanité 52 456 51 010
Libération 117 547 118 785
Le Monde 323 039 319 022
La Tribune 74 198 79 164
Diffusion totale 1 317 147 1 298 389

Soit 18 758 exemplaires vendus en moins en 2010 par rapport à 2009, un recul de 1,5%… C’est nettement plus que les -0,1% affichés par l’étude ça… Normal me direz-vous, vous oubliez des titres comme L’Equipe ! Oui, mais la diffusion du quotidien sportif affiche elle aussi un recul de -0,3% en 2010. Alors, quel est le vrai secret de cette bonne santé ? Les gratuits notamment, qui pour la bonne cause d’une diffusion de la famille sont intégrés dans la grande famille des quotidiens nationaux depuis 2005 : 20 Minutes, Direct Matin (édition nationale), Métro. Le Journal du Dimanche, ce quotidien qui sort une fois par semaine (oui, c’est un nouveau rythme de quotidien) fait lui aussi partie de la grande famille, option “quotidien du 7è jour”, même si lui ne paraît pas les six autres jours de la semaine.

On pourrait s’étonner de voir les éditeurs de presse payante, qui n’ont de cesse d’expliquer que sur le web l’info gratuite est un suicide, accueillir les gratuits à bras ouverts dans les études d’audiences. L’info gratuite, c’est sale uniquement quand c’est sur le web, c’est ça ?

L’info gratuite c’est l’ennemi absolu sur le web, mais on intègre les journaux gratuits dans les études d’audience sans problème…

C’est que voyez-vous, les quotidiens ne peuvent plus se montrer trop regardant sur celles et ceux qu’ils invitent à leur table. Car si la corrélation entre la diffusion payée et l’audience n’est pas automatique, la chute régulière et répétée des ventes finit malgré tout par se faire sentir dans les études. Du coup, il faut ratisser large pour faire malgré tout bonne figure et même les journaux hippiques tels que Bilto, Tiercé Magazine ou Paris Turf peuvent être de la fête ! Et il fallait bien cela pour diffuser des résultats présentables car du côté des quotidiens nationaux traditionnels, ceux-qui-paraissent-tous-les-jours-sont-généralistes-et-payants, on affiche une audience en berne de -2,7%

L’audience des journaux, c’est digne des meilleurs tours de Garcimore !

Mais il faut d’abord rappeler un distinguo important. Ici, monsieur, on ne parle pas simplement d’exemplaires vendus, on n’est pas de vulgaires boutiquiers. Non, ici, on parle d’audience, concept plus flou et qui a surtout l’avantage de laisser une marge de manœuvre beaucoup plus importante. L’audience, qu’est-ce donc ? Le nombre de personnes qui lisent chaque exemplaire vendu ? Plus seulement, soyons généreux et larges en inventant “ l’audience de moins de 8 jours ” pour les quotidiens, soit le ” Nombre de personnes en contact chaque semaine avec la marque au travers du quotidien, de son site Internet ou d’un supplément “. Prière de ne pas rire et même de savourer à sa juste valeur cette définition jésuitique au possible : “en contact avec la marque”… Avec un tel filet, ce serait un comble de ne pas pêcher un maximum de poissons en effet.

Capture d'écran 2011-04-05 à 08.55.12

Cette audience permet décidément de faire des choses fantastiques ! On se croirait presque dans un numéro du regretté Garcimore. Ainsi les quotidiens régionaux affichent-ils une santé insolente en 2010 : +0,3% Un chiffre d’autant plus méritoire que dans le même temps, le nombre d’exemplaires vendus est, lui, en recul.
En 2009, selon l’OJD, les quotidiens régionaux ont vendu chaque jour 5 221 377 exemplaires. En 2010? 5 112 247 exemplaires. Soit -2% en somme. Un résultat qui n’a rien de honteux, mais qui grâce à l’habileté scientifique de l’étude d’audience se change en +0,3% Elle n’est pas belle la vie ?

Moins de journaux vendus qu’en 2009, mais une audience en hausse… Elle est pas belle la vie avec les études d’audience ?

Capture d'écran 2011-04-05 à 08.56.13

Quant à savoir exactement comment se calcule le ration entre exemplaires vendus et audience officielle, chut, on ne demande pas ses “trucs” à un magicien. Du coup, celui qui essaye de comprendre par lui-même n’y retrouvera pas ses petits. Exemple avec les quotidiens nationaux :

2010 Lecteurs 2010 selon    étude EPIC Ratio
Aujourd’hui en France 173 576
La croix 106 151 476 000 4,4
Les Echos 120 444 609 000 5
Le Figaro 330 237 1 220 000 3,7
L’humanité 51 010 320 000 6,2
Libération 118 785 754 000 6,3
Le Monde 319 022 1 823 000 5,7
La Tribune 79 164 318 000 4

Pourquoi cette différence ? Les journaux n’ont pas le même lectorat c’est bien connu ! Rien d’étonnant à considérer que le lecteur de L’Huma est intrinsèquement plus partageur, tradition communiste oblige : plus de 6 lecteurs par journal vendu. Le lecteur du Figaro, suppôt du capitalisme libéral, est forcément pingre et individualiste. La preuve, il ne prête son exemplaire qu’à 3,7 personnes en moyenne.
Et que dire de L’Equipe qui réussit l’exploit d’avoir plus de lecteurs en 2010 (+1,6% selon l’étude) avec moins de journaux vendus (-0,3% selon l’OJD) ?

Capture d'écran 2011-04-05 à 08.02.22

Capture d'écran 2011-04-05 à 08.55.06

La conclusion ? On vous l’a déjà dit : ça va mieux que si ça allait plus mal. La presse quotidienne “ se porte comme un charme ” nous assure même  l’agence Mymédias dans sa synthèse de l’audience EPIC. Tout cela n’est finalement qu’une question de dosage, comme l’anesthésie. Quand on en injecte trop, on ne se réveille pas toujours à temps.

>> Article publié initialement sur Cross Media Consulting

>> Photo FlickR CC Attribution Hamed Saber

]]>
http://owni.fr/2011/04/06/la-presse-va-toujours-bien/feed/ 10
Libération se casse les dents en région http://owni.fr/2011/04/02/liberation-se-casse-les-dents-en-region/ http://owni.fr/2011/04/02/liberation-se-casse-les-dents-en-region/#comments Sat, 02 Apr 2011 13:45:04 +0000 Erwann Gaucher http://owni.fr/?p=54834

Libération est-il vraiment un quotidien national ? La question est volontairement provocante, mais elle est pourtant d’actualité depuis que l’on a appris la décision du journal de mettre fin à quatre de ses sept blogs locaux : LibéRennes, LibéLille, LibéStrasbourg et LibéOrléans.

Un choix révélé le 17 mars par le Mensuel de Rennes et qui met donc fin à une expérience de trois années du blog rennais de Libé, tenu depuis 2008 par Pierre-Henri Allain, correspondant-pigiste du journal en Bretagne depuis 1987. Trois années durant lesquelles il a été seul à piloter cette édition numérique locale du journal et à publier “au moins une histoire par jour “.

La raison invoquée par la rédaction en chef de Libération pour expliquer cette fermeture : “c’est une expérience que nous avons mené pendant 3 ans, mais il est difficile d’atteindre la taille critique pour trouver le bon modèle économique. Nous en tirons les conséquences et arrêtons ces quatre Libévilles pour pouvoir nous recentrer sur ceux installés dans des villes où nous disposons de correspondants permanents, explique Ludovic Blecher. Cela ne retire rien de la volonté de Libération d’être présent dans toutes les régions. Internet est l’endroit où l’on peut essayer ce type d’expérience, nous l’avons menée pendant trois années, mais il n’y a pas de modèle publicitaire. Ça nous fait mal au cœur d’arrêter cela, car nous y tenions, mais il n’y a pas de modèle économique basé sur la publicité ou sur les partenariats.

Il est vrai qu’avec 3.360 pages vues pas jour, LibéRennes par exemple, ne s’est pas imposé comme un rendez-vous incontournable de l’info locale. Mais à qui la faute ? Comme l’explique Pierre-Henri Allain, le journaliste en charge du blog : “Libé n’a jamais levé le petit doigt pour chercher des sources de revenus et n’a même pas donné suite à des annonceurs qui se proposaient de publier des pubs. La direction, qui nous a averti par courrier à la mi-février, nous a répété que la qualité de notre travail n’était pas en cause mais qu’ils avaient sans doute vu trop grand en voulant lancer coup sur coup autant de Libévilles sans avoir véritablement les moyens humains et financiers de les accompagner et de les développer. D’où un constat d’échec au final les obligeant à faire machine arrière.”

L’info locale demande des investissements conséquents pour réussir

Si le résultat n’était pas la fin de cette expérience, on pourrait s’amuser du discours contradictoire du journal : Libé a donc vu trop grand en voulant s’implanter ainsi dans les capitales régionales. Trop grand ? En confiant son implantation bretonne à un rédacteur isolé, au statut de pigiste avec un forfait mensuel de 20 piges ? Au contraire, Libé, comme beaucoup de médias nationaux lorsqu’ils veulent s’implanter localement a peut-être vu “trop petit” dans son expérience.

Une véritable ambition sur l’information locale aurait pourtant un sens pour Libé, comme pour tous les quotidiens nationaux. Mais l’info locale, comme l’info internationale ou nationale, est un vrai métier, demande une véritable expertise et des investissements conséquents pour réussir.

Il ne faut pourtant pas être grand clerc pour deviner qu’il sera bien difficile de rendre rentable une présence régionale, quand bien même numérique et sous forme de blog avec un investissement si limité. On demande un papier quotidien à un journaliste pigiste et on espère que cela suffira pour que les presque 600.000 habitants de l’aire urbaine rennaise (pour ne parler que d’eux) se précipitent en masse sur le blog et que la publicité tombe toute seule.

Il n’y aurait donc pas besoin d’un commercial pour vendre, et le pigiste local est prié de se débrouiller seul, très seul comme l’explique Pierre-Henri Allain : “Les contacts avec la rédaction centrale se réduisent au minimum. Je les alerte lorsque j’estime qu’un de mes sujets mériterait une “remontée” en “home” sur libération.fr et ils me signalent de leur côté les “bonnes histoires” qui auraient pu m’échapper. Sinon aucune conf de rédac,  je suis entièrement libre de mes choix éditoriaux.”

Une liberté qui, si elle a ses bons côtés, peut aussi laisser penser que le journal ne suit qu’avec un intérêt très limité son blog local qui aura vécu sa vie seul pendant trois ans avant que le couperet tombe : fermeture. L’info régionale et locale, ce n’est pas de la magie, c’est un métier d’experts, comme les autres types d’infos, il ne suffit pas d’apposer une marque si prestigieuse soit elle pour que ça marche. Il faut aussi investir et s’investir pour avoir une chance de percer et les quotidiens nationaux se cassent régulièrement les dents sur cette problématique.

LibéRennes : en trois ans, “aucun sujet n’est passé sur Libé papier

Libération n’en est pourtant pas à sa première tentative pour s’implanter sérieusement “en région”, puisqu’ils avaient lancé Lyon Libération en 1986, expérience qui avait tenu jusqu’en 1993.

Car, du potentiel, les quotidiens nationaux en ont en dehors de Paris ! Les aires urbaines des quatre blogs que Libération s’apprête à fermer, représentent presque 2,8 millions d’habitants et des zones dans lesquelles le quotidien papier n’est vendu qu’à quelques (dizaines ?) de milliers d’exemplaires chaque jour. On voit la marge de progression et l’outil formidable qu’une édition numérique performante, innovante et soutenue peut représenter pour “installer” Libération dans les habitudes de consommation médias des lecteurs de ces zones.

À condition d’y investir de vrais moyens et de mettre en place une vraie synergie entre le quotidien national et ses blogs régionaux. Il est très révélateur de constater qu’en trois ans, sur les centaines d’articles rédigés par le journaliste local en charge de LibéRennes, “aucun sujet n’est passé sur Libé papier“. Dommage, cela aurait peut-être convaincu un peu plus de Rennais, d’Orléanais, de Strasbourgeois et de Lillois d’acheter cette édition papier qui, avec 118.717 exemplaires vendus chaque jour (OJD), se classe 16ème quotidien… régional de France seulement. Un coup de boost sur ses ventes “en région” ne serait donc pas de trop !

Une pétition à Orléans

La décision sera-t-elle maintenue ? Sans aucun doute, et elle laissera un goût amer à ceux qui y ont participé, mais aussi à tous ceux qui savent combien la demande d’info locale est forte et prête accueillir de vraies propositions alternatives.

A Orléans, une pétition a été mise en ligne pour demander à Nicolas Demorand, nouveau patron du titre, de ne pas fermer LibéOrléans. Elle a déjà recueilli un peu plus de 400 signatures. Les mauvaises langues diront que c’est sans doute plus que les ventes quotidiennes du journal dans la ville d’Orléans. Les optimistes répondront que cela permettra peut-être à Libé de changer d’avis et de prouver que le journal a plus d’ambition que d’être un quotidien parisien, réalisé par des Parisiens pour des Parisiens…

Billet initialement publié sur Cross Media Consulting sous le titre “Libération se casse les dents à Rennes, Orléans, Strasbourg et Lille”

Image Flickr AttributionNoncommercialShare Alike Chris Daniel

]]>
http://owni.fr/2011/04/02/liberation-se-casse-les-dents-en-region/feed/ 12